Une moto concept a fait parler d’elle sur la toile ce mois-ci, vous savez, c’est cette Harley qui ne ressemble pas à une Harley. Le véhicule au look radical a été dessiné par Tanner Van der Veer, dans le cadre de son projet de fin d’étude à l’université de Cincinnati. Revenons ensemble sur le processus qui a amené l’étudiant en design à imaginer cette Harley Davidson Revival, comme un coup de booster pour une marque en sérieuse perte de vitesse.
Prendre le parti de la marque
Au travers de son projet, le designer choisit généralement de s’attacher à la résolution d’un problème donné. Il se penche sur un aspect de la vie et cherche une façon de simplifier ou d’améliorer notre quotidien avec un outil, un objet, un service, etc.
Ici, et c’est assez singulier pour être mentionné, Tanner choisit comme problème à résoudre la difficulté croissante rencontrée par la marque Harley Davidson dans la vente de moto aux nouvelles générations. Autrement dit, il travaille comme si la marque l’avait engagé pour l’aider à se repositionner. Un choix qui l’amène à appuyer l’ensemble de sa réflexion sur une étude de marché.
En mélangeant marketing et design, il brouille la frontière entre son rôle et celui d’un commercial et corrompt sa recherche en plaçant les intérêts de la marque avant les intérêts des utilisateurs. Une erreur méthodologique lourde de sens mais si répandue qu’elle n’étonne plus grand monde. Suivons donc la logique de Tanner dans sa conception de la Revival et commençons par observer la situation économique de Harley Davidson.
L’étude de marché
Ceux qui s’intéressent un peu à la vie de l’entreprise Harley Davidson le savent, la marque n’est pas en forme. Depuis 2008, ses ventes ne font que chuter, phénomène qui s’est vu aggravé par l’irruption du COVID. En 2020, elle tente un coup d’éclat avec le lancement d’un modèle électrique, la LiveWire. Mais le véhicule peine à atteindre sa cible et l’opération ressemble de plus en plus à coup d’épée dans l’eau.
Le fond du problème ? Une communauté d’utilisateurs vieillissante, une image en décalage avec les valeurs émergentes, une nouvelle génération de motards qui ne s’y retrouve pas. C’est ce que montrent les premiers documents de Tanner d’ailleurs. Les conducteurs classiques de Harley sont attachés au gros son iconique des motos, à des machines puissantes et lourdes et ne veulent pas entendre parler d’électrique. À l’autre bout du spectre, les jeunes motards ne souhaitent pas conduire un char d’assaut et polluer sans scrupule.
Le but de Tanner, c’est bien d’aller chercher ces nouveaux motards avec un véhicule qui puisse incarner leur univers. En s’appuyant sur les faiblesses de la marque du point de vue de cette population de nouveaux conducteurs, le designer dégage 4 axes structurant son concept. Dépoussiérer son image, réduire le coût d’achat à neuf, concevoir un véhicule léger et compact, mais également soutenable, avec le choix du moteur électrique. Il situe ainsi les caractéristiques de sa nouvelle machine dans une zone pour l’instant inexploitée par Harley, qu’il met en évidence sur le schéma ci-dessous.
Le dessin commence
Pour ancrer son dessin dans l’histoire de la marque, Tanner sort les archives. Il porte son intérêt sur un véhicule de 1915, le boardtracker. Populaires dans les années 20 à 30, les dangereuses courses de board track se déroulent sur des pistes inclinées faites de planches de bois et constamment en maintenance.
Sur ces machines anciennes, on remarque immédiatement le réservoir aux lignes droites qui préfigure la future forme en goutte d’eau, emblématique des Harley. Tanner le reprend à son compte. Le côté angulaire lui permet d’opérer une rupture esthétique et lui sert de « touche futuriste », si l’adjectif futuriste veut encore dire quelque chose…
Sur certains modèles, il récupère aussi le code couleur de la machine, corps en vert et pneus en blanc. Malgré tout, il n’est pas évident de voir une Harley Davidson dans cette Revival. Alors Tanner en rajoute une couche en donnant au phare avant la forme du logo de la marque. Une attention touchante, mais il faut le savoir pour le voir.
De nouvelles exigences
Dans son ensemble, la Harley répond au nouveau cahier des charges établi par Tanner. Si sa longueur est la même que celle de la LimeWire, elle s’avère plus compacte et plus basse. La machine, légère et agile, se dévoue à une conduite urbaine et s’avère plus engageante comme choix de premier véhicule.
Revival est une électrique qui ne se cache pas. Son look assumé est quelque peu adouci par le traitement rétro de la selle et des poignées. En guise de réservoir, un volume vide dessiné par des parois translucides. Celles-ci se prolongent en deux lames qui descendent de part et d’autre du moteur électrique. On retrouve ce jeu de transparence au niveau des amortisseurs, habillés par des tubes.
Une idée centrale dans le projet de Tanner, c’est son principe de batteries interchangeables sur abonnement. Elles viennent s’emboiter sur le moteur et l’on en change sur les bornes de la marque quand elles sont vides.
Certainement séduisante dans sa vue 3D, la borne paraît vite aberrante quand on l’imagine dans le réel, rayée et taguée au bout de quelques mois. Dans le même esprit, on imagine mal des villes déjà saturées, envahies par des légions de bornes électriques, chaque marque proposant la sienne.
Déjà une légende urbaine
Quelles étaient les intentions de Tanner avec ce projet ? S’agit-il d’une lettre de motivation ultra sophistiquée pour entrer chez Harley ? En tout cas, le véhicule a su faire parler de lui. On l’a vu repris par de nombreux blogues de design, d’innovations technologiques et de style de vie. Tous surfaient allègrement sur l’ambiguïté de son statut. Prototype ? Concept bike? Futur modèle de Harley ?
Pourtant Tanner, lui l’indiquait bien sur son site :
« Avis de non-responsabilité : Ce projet a été réalisé dans un cadre académique à des fins pédagogiques uniquement. Il n’est pas question de vendre ou produire cette moto et le projet n’est affilié ou sponsorisé par aucune entreprise, y compris Harley Davidson, Carhartt ou Revival Cycles. »
Un joli cadeau fait à la marque donc, qui s’économise une étude de marché dont elle semble avoir rudement besoin. Merci Tanner !