En fin d’année 2020, Ben Blake partait à l’assaut des Pyrénées pour boucler une phase de sa vie. Son objectif : rejoindre l’Étang de Soulcem, l’endroit précis qui a marqué un tournant majeur, 4 ans auparavant. L’endroit précis où il choisit de confier Sofia, sa première moto à Florian, à la seule condition qu’il l’y accompagne.
Le voyage, au fond des tripes
Ça c’est moi, il y a 60.000km. 1er périple, 1ères émotions, à peine 3 ans plus tôt. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, je n’étais pas très heureux. Vous vous demandez certainement pourquoi ? Eh bien à ce moment précis, j’étais en train de tourner la page de 15 ans de ma vie. 15 années à faire de la musique, à me rêver en rockstar, à jouer de la guitare tous les jours et à fantasmer d’un idéal. J’étais tellement dévoré par la passion que j’ai fini par me convaincre que seule la musique pouvait répondre à l’immensité que j’attendais de la vie.
J’ai toujours fonctionné comme ça, si je ne le sens pas dans mes tripes, je ne le fais pas. Je m’étais mis tellement de pression sur les épaules qu’elle avait fini par me bloquer et m’empêcher d’avancer. Et là, face à ces montagnes j’étais tout juste en train de prendre conscience qu’une partie de ma vie avait été un mensonge, que je ne monterais plus sur scène et que mon idéal a existé mais que dans mes rêves. Avoir une passion c’est aussi important que de marcher.
Ça peut être tout et n’importe quoi, mais le bonheur d’aller dans la bonne direction et de savoir qu’on est à la bonne place, je crois que ça n’a pas de prix. Je savais que j’avais besoin de changement, mais j’ignorai complètement que lorsque j’ai pris cette photo, j’allais écrire le second chapitre de ma vie. Et depuis ? Eh bien depuis, je n’ai jamais arrêté de rouler.
L’ascension
Pendant un an, j’ai parcouru le pays de long en large sur des milliers de km au guidon de ma moto, Sofia. J’ai revu plein de potes et j’ai découvert des paysages dont je n’aurais jamais soupçonné l’existence. Je n’avais pas de budget, un équipement pourri mais je m’en foutais. L’important c’était de rouler. Cette moto m’a donné l’opportunité de retrouver quelque chose que je n’avais pas connu depuis des années : le frisson. Mais au-delà de ça, elle m’a offert quelque chose de bien plus précieux : une reconnection avec ma famille.
Cette nouvelle liberté à 2 roues m’avait poussé à rendre visite à chaque fois que je le pouvais à ma grand-mère de 87 ans en Normandie. Plus j’y allais, plus je me prenais de passion pour cette terre remplie d’histoire, à tel point que cette région est aujourd’hui devenue un symbole indissociable de ma moto. Grâce à ça, j’ai pu rouvrir des pages de mon passé et comprendre enfin pourquoi j’en étais arrivé là. Aussi heureuse qu’inattendue, cette reconnection m’aura apporté bien plus que tout ce que j’aurais espéré.
Plus tard, les mois, les km et les aventures défilaient et je trouvais ma voie petit à petit. A un moment, j’ai eu l’opportunité de rouler sur une moto bien différente, une espèce de gros tank sur 2 roues taillé pour faire des bornes. Après des milliers de km au guidon de cette nouvelle moto les choses ont commencé à changer le jour où je me suis rendu compte que j’avais presque oublié Sofia. Stockée chez ma grand-mère, à l’abris des regards, j’avais au fil des mois pris mes distances avec elle.
Loin d’aimer cette situation, après plusieurs semaines à peser le pour et le contre, j’ai pris la décision de m’en séparer mais à l’unique condition que ce soit pour l’offrir à quelqu’un. Mesdames et Messieurs, laissez-moi vous présenter Florian. Détenteur du permis depuis plusieurs années, Florian est un étudiant de 24ans. Et on le sait tous, quand on est à l’école, on n’a pas forcément les fonds pour se payer une moto. Du coup, il n’a malheureusement jamais pu accéder à ce rêve.
Un peu réservé au 1er abord, j’ai trouvé chez ce petit gars une simplicité et une spontanéité qui m’ont convaincues tout de suite. Alors là, vous vous dites « mais tu vas lui offrir la moto juste comme ça ? ». Eh bien, pas vraiment. La moto oui, mais il y avait une condition : si tu prends la moto, tu pars avec moi traverser le pays pour ton tout 1er roadtrip. Et devine où on va ? Eh oui, pour sceller notre pacte, je tenais à absolument à l’emmener à l’Etang de Soulcem, là où tout a commencé pour Sofia et moi. Elle symbolisait à elle seule mon changement de vie, mon émancipation, alors l’idée de partir refaire la même photo, devant les mêmes montagnes, était une évidence. Il restait seulement quelques détails à réparer, une route à tracer et quelques semaines plus tard, le départ était imminent.
Les préparatifs
Eh bien, je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé mais du jour au lendemain, la société entière s’est mise sur pause. Il n’y avait plus personne dans les rues. J’avoue que j’ai pas vraiment compris. Peut-être que les gens se sont mis à adorer rester chez eux va savoir. Après avoir retourné l’histoire cent fois dans ma tête, je devais me rendre à l’évidence que l’aventure avec Florian était dans ces conditions inenvisageable. Alors on a stoppé et on a attendu.
Quelques mois plus tard, alors que nous avions projeté de partir en été, une autre nouvelle vient encore une fois tout bousculer : on me propose un projet que je ne pouvais pas refuser. Je suis parti visiter et filmer 6 régions et c’était ce qui pouvait m’arriver de mieux après cette période très bizarre. C’était aussi enfin l’aboutissement de ce que je voulais faire depuis le départ.
J’étais seul sur les routes pendant 3 mois avec mon sac à dos, et ma caméra. J’ai vu les monts Alsaciens, ma belle Normandie, le froid de la route des grandes Alpes, les plages roses de Camargue, les druides bretons et les incroyables Cévennes. Dix mille km à découvrir des endroits magnifiques qui m’auront amené à concrétiser 3 années de travail intense. C’était le meilleur scénario possible.
D’un coup, tout s’arrête
Quand mes frères et moi étions enfants, faire 9h de route dans un Renault Espace sans se chamailler relevait de l’exploit. Pourtant, la musique de mon père dans le lecteur cd et l’idée de passer un séjour chez ma grand-mère faisait toujours passer le trajet plus rapidement. J’ai un peu de mal à le dire mais c’est lors d’une douce nuit d’été, entourée des siens, que ma grand-mère s’en est allée. Il aura fallu attendre près de 20ans pour qu’elle accepte enfin d’aller revoir Jacky, mon grand-père dont j’ai fait une icône. Un homme simple qui bâti sa maison de ses propres mains.
Elle se confia avec toute sa pudeur et ses derniers mots furent lourds de sens : « maintenant je veux rejoindre ton grand-père ». Je me rappellerai toujours des aboiements de son chien en guise d’accueil, le son du bois brulant dans la cheminée et du sifflement du vent s’infiltrant à travers la baie vitrée. D’un accueil toujours chaleureux, j’ai pu, ces quatre dernières années, profiter d’elle au maximum et lui montrer ô combien son foyer a de la valeur à mes yeux.
Je savais pertinemment qu’elle ne serait pas éternelle, tout ce que je voulais c’était pouvoir la laisser partir lorsqu’elle en aurait fait le choix sans jamais avoir de regret. Tu as su mettre du bonheur dans mon regard de petit garçon, tu m’as fait rêver, tu m’as offert de la chaleur et c’est énorme. Même si ton départ est d’une rare violence, je ne peux m’empêcher de constater que tu me pousses à dire adieu à cette dernière part d’enfance qu’il y a en moi. Sache que je prendrai soin de ton histoire sans jamais la déshonorer et que la Normandie sera toujours pour moi, synonyme de toi. Et par pitié, quand tu verras papi, dis-lui de venir réparer le tracteur et de ranger l’atelier à l’occasion, ça te fera du boulot en moins et tu l’as bien mérité.
A ce moment précis je comprends que je suis à un carrefour de ma vie. Je savais pertinemment que la moto pourrait m’aider à surmonter cette épreuve, alors quoi qu’il arrive, il fallait remonter en selle.
La route et ses rencontres
Cela faisait plusieurs mois que je devais emmener Florian dans le sud, alors après avoir fait les derniers réglages, reçu le matériel manquant, nous finissons enfin par enfourcher nos motos et nos équipements pour une traversée de la France par des températures qui atteindrons -10°C. Direction les Pyrénées.
Après plusieurs centaines de km et des pieds glacés, nous faisions un premier arrêt dans un lieu un peu hors du commun. Il y avait une maison à la chaleur unique et rare qui nous donnait envie de tout sauf de la quitter. Du père à la mère en passant par les enfants et les copines des enfants, chez eux la moto c’est une histoire de famille. Leur garage recelait de trésors qui transpirent l’histoire, la passion et que l’on rêverait tous de posséder un jour.
Dans la fratrie il y a Tom, un des meilleurs amis de Florian depuis l’école. C’est précisément leur rencontre quelques années auparavant qui donna le virus de la moto à mon compagnon de route. Je m’étonne de constater que s’ils ne s’étaient pas connus, Florian ne se serait jamais mis à la moto et je ne les aurais moi-même jamais rencontrés. Alors quand il m’a demandé la faveur d’aller les voir, faire étape dans la Sarthe était plus qu’une évidence.



Le lendemain nous reprenions notre descente dans un froid glacial sans jamais oublier notre but. Arpentant ces routes particulièrement calmes, je pense souvent à ce que dois ressentir Florian qui vit là ses premiers instants sur la route. J’espère qu’il a conscience que ce sera son unique première fois et je ne peux m’empêcher de me projeter et me voir en lui 4 ans auparavant.
Après encore plusieurs heures de route par des températures négatives, nous sommes accueillis chez Benoit à Toulouse. Lorsqu’il a vu que nous passions par chez lui, il nous a tout de suite proposé de nous héberger. Il faut vraiment que je vous parle de ce gars dont j’ai récemment découvert les aventures.
A seulement 19 ans, et contre toutes les pressions de son entourage, il est parti traverser la nouvelle Zélande avec un DR 600 de 1985 fatigué et son sac à dos. Au-delà du fait qu’il ait sillonné ce pays à un si jeune âge, je dois dire que ce qui m’a marqué chez lui, c’est son état d’esprit. Touchant et positif dans n’importe quelle situation, il a une façon de raconter ses histoires avec une simplicité désarmante. Il me rappelle par ses aventures que seul l’esprit compte. Au-dessus de tout. Nous avons passé la soirée à écouter attentivement ses aventures mais impatients d’atteindre notre objectif. Et j’étais loin d’imaginer ce qui nous attendait.



La chaîne Pyrénéenne en ligne de mire
Les montures prêtes, nous partons en direction des profondes vallées pyrénéennes qui ne nous attendaient pas. Mais après quelques heures, le bonheur d’apercevoir enfin cette magnifique ligne de colosses de pierre était sans pareil et mon camarade avait encore du mal à réaliser tous ces kilomètres parcourus dans le froid glacial qui n’avait aucune pitié de nous. C’était génial, mais malgré tout, je l’avoue, j’avais peur. Pas peur de la route, non. J’avais peur que tout ceci s’arrête, qu’un jour la passion de monter sur une moto m’abandonne, comme pour la musique quelques années plus tôt. Nous étions à 10km de l’arrivée, mais malheureusement la neige se mit à tomber sans prévenir. La nuit pointait le bout de son nez et il semblait que dame nature ait décidé de changer nos plans.





J’avais bien prévu des équipements pour les pneus mais je ne l’ai pas senti. Avec l’obscurité tombante, c’était bien trop dangereux. Quoi qu’il arrive, il fallait prendre une décision tout de suite et que l’on se mette en sécurité. Alors ni une ni deux, après avoir mis les motos sur le bas-côté, on fait notre paquetage, on reste déterminés et on part chercher à pieds un endroit pour la nuit. Après une bonne heure de marche dans la poudreuse, nous tombons à coté d’une cabane abandonnée qui sera notre abri pour cette nuit qui s’annonce particulièrement froide. Alors qu’il faisait nuit noire, la lune éclairant les montagnes enneigées et nous offrait un spectacle rare, devant lequel nous n’avions que pour seule option l’humilité. Je crois que c’est à ce moment précis que Florian a réalisé notre chance.
Le casque accroché au sac, 20kg sur le dos et armés de nos crampons, j’étais loin de me douter de ce que nous nous apprêtions à faire. Au fil de l’ascension, nos respirations devenaient de plus en plus dures à gérer et plus nous grimpions, plus j’avais l’impression d’avancer à petits pas. Nos pieds s’enfonçant dans une neige profonde, il était difficile de rester motivé. Entre le poids derrière le dos et le dénivelé n’en finissant pas, j’essayais de ne plus réfléchir en regardant le sol. Pourtant, je n’arrêtais pas de penser à toute cette aventure. Tout ceci m’a amené dans cet endroit incroyable par -10°C. Et moi qui ai toujours détesté la randonnée. Dire que tout ça est parti d’un simple achat de moto quatre ans auparavant, c’est quand même dingue… mais après 5h de marche, alors que je me perdais dans mes pensées, nous atteignons l’Etang de Soulcem.


Le bonheur d’apercevoir enfin l’arrivée était sans pareil. J’étais tellement heureux de revoir ces montagnes qui signifient tant pour moi. C’était magnifique, nous étions seuls, aux pieds de notre destination et je tenais absolument à emmener Florian ici pour sceller définitivement notre accord. « Mon gars, c’est à partir de cet instant que Sofia devient tienne, à partir de maintenant que tu écris ton histoire, à partir de maintenant que tu peux aller ou tu veux. Tu as été vaillant, souriant, parfois réservé mais toujours partant. Je ne te demande qu’une seule chose en échange, prend grand soin d’elle car au-delà d’avoir été ma moto, elle fut mon échappatoire, ma meilleure amie, mon excuse et quoi qu’il arrive ma passion. »

Une boucle bouclée
Que ce soit un changement de vie, la disparition d’un proche ou un simple coup de blues, j’ai l’impression que partir à moto est à chaque fois une véritable cure. Je crois que c’est une chose que seuls les gens qui n’ont jamais senti le vent poussés par deux roues peuvent comprendre. A ce propos, laissez-moi vous raconter une petite anecdote, lorsque j’étais en ballade sur les côtes normandes, deux ans plus tôt. Un anglais plutôt intrigué par ma monture m’aborde et vint me faire la conversation. « C’est marrant, j’avais le même genre de moto à ton âge, c’était mes plus belles années. »
D’un âge mur et de petite taille, ce que je retiens particulièrement de cette rencontre, est une phrase qui résonne plus que jamais dans mon esprit. Sûr de lui, il se pencha vers moi et dit : « My friend you’ll never see a motorcycle parked in front of a psychatrist office ». Comprenez « tu ne verras jamais, mon ami, une moto garée devant le bureau d’un psychiatre ». Je crois que c’était la meilleure phrase que je n’avais jamais entendue. Tellement juste. Un sourire échangé et une poignée de main plus tard, je reprenais ma route avec ma moto, en paix, direction la maison. Je venais de comprendre que par-dessus tout, la moto n’est pas un véhicule mais pour toujours, une thérapie. Et rien que pour cette raison, tant que rien ne m’en empêchera, je continuerai de rouler.

Découvrez son aventure en vidéo :
Ben Blake – Equipée Sauvage | Instagram | Facebook
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