Joe Leonard fut la première légende américaine d’après-guerre, vainqueur du Grand National à trois reprises dans les années 50. Mert Lawwill était la star de la fin des sixties, notamment pour son rôle-phare aux côtés de Steve McQueen dans On Any Sunday de Bruce Brown. Mais interrogez la génération de pilotes US qui a dominé le Continental Circus européen de la fin des années 70 au début des années 90 : ils vous diront que Dick Mann était le plus grand. La preuve avec le King himself, Kenny Roberts.
Kenny, qui était Dick Mann pour vous ?
Kenny Roberts : Dick avait gagné sa seconde plaque de Number One l’année avant que je devienne Expert. Il était alors le meilleur pilote américain, le plus populaire aussi. Nous avons roulé deux ou trois saisons ensemble, mais j’avais fait sa connaissance quand je suis devenu amateur et que je commençais à suivre tout le circus.
Quel rôle a-t-il joué dans votre carrière ?
Kenny Roberts : Dick et Mert Lawwill, qui étaient de grands amis, m’avaient rapidement pris à part : « Tu peux avoir une grande carrière devant toi, mais il faut que tu décides si tu viens ici pour t’amuser ou pour devenir un vrai pilote », me dirent-ils. J’avais 19 ans, et c’était vraiment très spécial pour moi. Ils étaient tout de même Number One tous les deux. Puis Dick m’a plusieurs fois invité à diner avec lui pour me donner des conseils. Il fut pour moi un guide important dans ma carrière.
Quels genres de conseils ?
Kenny Roberts : On était devenus amis : on parlait de course, de pilotage, même si ma Yamaha et sa BSA n’avaient pas grand chose en commun. On a aussi beaucoup parlé de vitesse, car il était un très bon pilote de vitesse. Même si c’est vrai que l’arrivée de la Yamaha TZ 750 avait un peu mis un terme à sa carrière : il était un pilote de quatre-temps et ne pouvait plus s’adapter au deux-temps.
Quel genre de pilote était-il ?
Kenny Roberts : Au départ, il est un vrai pilote de dirt-track. Il a aussi roulé en vitesse, donc, mais aussi en motocross et même en trial. Il était capable de tout piloter, mais surtout de gagner dans toutes les disciplines, ce qui est le plus difficile. Pour avoir piloté plusieurs saisons avec Dick, et fait courir en vitesse Jean-Michel Bayle, je pense qu’ils ont beaucoup de points communs. Ils ont une même passion pour rouler sur tout type de moto, le même talent pour exploiter les limites de ces motos. Et ils sont tous les deux des durs au mal, capables de piloter avec des os cassés. D’ailleurs, Dick avait réussi à vaincre un cancer de la gorge.
Vous avez également de nombreux points communs avec lui…
Kenny Roberts : Dick Mann fut le premier à réussir le Grand Slam (victoire dans toutes les disciplines du Grand National), et moi le premier à le faire dans la même saison. Seuls Bubba Shobert l’a réussi après nous. On avait aussi la même philosophie de la course, et Dick partageait tout avec moi : il répondait à toutes les questions que je lui posais avec franchise, no bullshit entre nous, ce qui est plutôt rare dans notre milieu. Et comme moi, il n’arrivait pas à en finir avec les motos : il a récemment refait une BSA pour un des mes copains. Il est toujours au milieu de ses vieilles pièces, à reconstruire et restaurer. Ceci dit, Dick aurait gagné beaucoup plus de courses s’il avait laissé la préparation de ses machines à un spécialiste. La mécanique n’était pas son point fort !
Photos Patrick Bodden, Archives Emde et Greening.
Interview publiée dans le hors-série Dirt #1, février 2014.