Publié le 11 août 2021 au Journal Officiel, le décret instaurant l’application du contrôle technique pour les deux-roues à partir de janvier 2023 a été suspendu dès le lendemain par le Président de la République. Le débat, déjà houleux sur ce sujet, est relancé de plus belle. La mise en place probable du dispositif sonnerait-elle le glas de la customisation ?

Des hauts et débats
L’instauration d’un contrôle technique pour les deux-roues fait débat en France depuis une bonne quinzaine d’années maintenant. Les associations qui luttent contre la pollution sonore et environnementale dans les grandes agglomérations veulent l’imposer. Les associations de motards comme la Fédération Française des Motards en Colère (FFMC), la Fédération Française de Motocyclisme (FFM) ou la Fédération des Bikers de France (FBF) luttent toutes contre. Le fossé qui sépare les deux camps s’élargit de jour en jour.
Comme beaucoup de règles qui régissent notre vie quotidienne, c’est au niveau de l’Union Européenne qu’a été décidé en 2014, la mise en place du contrôle technique dans tous les états membres. Des délais étaient accordés à chaque pays pour disposer du temps nécessaire à l’installation du dispositif sur l’ensemble du territoire d’une part, ou pour expérimenter des mesures alternatives d’autre part. La France est un des quatre, avec l’Irlande, la Finlande et les Pays-Bas, qui a opté pour la deuxième option : améliorer la sécurité sur le réseau routier, ainsi que développer la prévention et la sensibilisation.

L’exception Française
Mais ces délais arrivent à leur terme. C’est pourquoi, le 25 février 2021, l’Union a voté la fin des reports pour la France et relancé les débats alors qu’un statu quo était en place depuis 2015. Avec la publication du décret le 11 août, les tenants du pour criaient victoire. Mais en ordonnant dès le lendemain une « suspension jusqu’à nouvel ordre », Emmanuel Macron renversait la situation en faveur des tenants du contre.
Officiellement selon l’Élysée, la période est trop courte entre le décret et le déploiement d’un dispositif dédié au contrôle technique pour les deux-roues sur l’ensemble de territoire national. Officieusement, la classe politique chercherait plutôt à éviter de se mettre à dos trois millions d’électeurs potentiels avant les échéances électorales de 2022. Quoiqu’il en soit, le Ministre délégué chargé des Transports, Jean-Baptiste Djebarri, a annoncé juste après la décision du chef de l’État qu’il « a convenu avec les fédérations de se retrouver à la rentrée pour échanger largement » sur ce sujet. Car oui ! Vu la ferveur des débats et la radicalisation progressive de chaque camp, il semble évident de continuer à s’interroger : pourquoi instaurer un contrôle technique ? Sous quelle forme ? N’existe-t-il pas des solutions plus efficaces pour lutter contre le bruit, la pollution et le nombre d’accidents des deux-roues ?

La question des nuisances…
Le bruit est le premier des fléaux que le contrôle technique serait sensé éradiquer. Selon l’association Bruitparif, un deux-roues dont le pot d’échappement ne respecte pas les niveaux de bruits autorisés peut réveiller jusqu’à trente fois plus de personnes lors d’un trajet nocturne en agglomération qu’un pot réglementaire. Mais dans ce cas, les opposants à cette mesure soutiennent que des contrôles de police inopinés seraient plus efficaces pour deux raisons. Premièrement, le propriétaire d’un pot bruyant peut le démonter et remonter facilement avant et après chaque passage au contrôle technique. Deuxièmement, le matériel de mesure du bruit est peu coûteux et simple d’utilisation pour les forces de l’ordre.
La deuxième nuisance qu’il s’agirait de réduire est la pollution. En 2018, une étude réalisée par l’International Council on Clean Transportation (ICCT, Conseil international sur les transports propres) a démontré que les émissions de monoxyde d’azote des deux-roues peuvent se révéler jusqu’à dix fois plus élevées que celles des voitures à essence. Mais la lutte contre la pollution fait déjà l’objet de nombreuses mesures. En dix ans, trois normes européennes de plus en plus contraignantes se sont succédées. Grâce à elles, nous avons perdu 94% sur les émissions de monoxyde de carbone et 50% sur celles d’oxyde d’azote.

… et celle de la sécurité
La sécurité, enfin, est le point le plus important auquel le contrôle technique est sensé apporter une amélioration. Alors que le bruit et l’environnement divisent usagers, scientifiques et politiques, ce dernier point met en principe tout le monde d’accord, à commencer par les motards eux-mêmes, tous concernés par leur vulnérabilité sur la route.
Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples que cela. Là aussi, la mise en place d’un contrôle technique est discutable. L’étude scientifique Motorcycle Accidents in Depth Study (MAIDS, Etude en profondeur des accidents motocyclistes) réalisée en 2005 conclut que moins de 0,5% des accidents de motos sont imputables à leur usure. La vitesse excessive, la prise de risques, l’inexpérience ou encore les aménagements routiers sont des causes d’accidents beaucoup plus importantes que l’état des motos.
C’est en se basant sur ces résultats que le Sénat votait contre le contrôle technique pour les deux-roues en 2012 et que les gouvernements successifs décidaient d’améliorer les équipements routiers ainsi que d’approfondir la prévention routière. Ainsi, depuis 2010, la mortalité motocycliste en France est en baisse d’environ 46%. La mesure la plus efficace du dispositif est la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes de campagne. Mais même si l’état de la moto semble rarement en cause, il se pourrait néanmoins qu’un contrôle technique soit utile, notamment pour les motos customisées.

La mort de la custom culture ?
Direction, éclairage, signalisation, freins, liaison au sol, mécanique, pollution, niveau sonore, carrosserie, châssis et visibilité : les vérifications lors d’un contrôle technique concernent l’ensemble du véhicule. La crainte que peuvent avoir les propriétaires de motos personnalisées est de devoir renoncer à certaines modifications passées ou à venir à cause de cet examen. Mais la prédécesseure de Jean-Baptiste Djebarri au Ministère des Transports, Elisabeth Borne, affirmait quand elle était en fonction à ce poste : « Le rôle du contrôle technique est de vérifier que les véhicules contrôlés ne nuisent ni à la sécurité routière, ni à l’environnement. Il n’est pas de valider ou refuser des transformations apportées à un véhicule, que celles-ci modifient ou non ses caractéristiques techniques. Les véhicules faisant l’objet du “tuning” s’inscrivent donc depuis des années dans cette législation générale. »
Le contrôle technique n’a donc aucun rapport avec l’homologation pour la route ou la modification de la carte grise. Si la transformation d’une moto peut avoir des conséquences sur ces deux derniers aspects, elle ne devrait pas en avoir sur le contrôle technique qui ne s’intéresse, lui, qu’à l’entretien de la moto, pièces d’origine ou pas. Cela dit, il est fort probable que les mesures mises en place dans notre pays depuis 2014 ne soit pas suffisantes aux yeux de l’Union Européenne pour nous exonérer définitivement du contrôle technique. Il serait alors appliqué à partir de janvier 2023 ou, au plus tard, 2025. En attendant, pour s’assurer d’obtenir un contrôle technique valide le moment venu, quelques précautions pourraient nous être bien utiles.

Mieux vaut prévenir…
La première est de conserver toutes les pièces d’origine. La deuxième est de garder toutes les factures des pièces de rechange et de leur installation. La troisième précaution est de confier les travaux à un professionnel. La quatrième est de faire réviser sa moto régulièrement. Et une dernière précaution enfin, est d’acheter des clignotants, des feux et des pneumatiques marqués du label ‘E’.
Pour les autres équipements, une petite astuce pourrait se révéler bénéfique : l’achat de pièces qui répondent à la norme allemande Technischer Überwachungs Verein (TÜV). Même s’il n’a aucune valeur légale en France pour l’instant, ce label est une véritable institution outre-Rhin et garantit, en principe, la validation du contrôle technique là-bas.

CT mieux avant ?
Même si son utilité reste âprement discutable, le contrôle technique pour les deux-roues devrait être instauré à terme dans notre pays. Mais son but sera de contrôler l’entretien d’une moto et non l’ampleur de sa customisation. C’est déjà le cas dans les pays européens qui l’ont adopté, où dans l’ensemble la custom culture n’est pas en péril. Même si elle devait s’adapter à l’instauration du contrôle technique dans l’Hexagone, on peut penser sans crainte qu’elle garderait encore de beaux jours devant elle.
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Photos : Pixabay (Alexa’s Photos)